Il est 9 h ce mardi 22 août et les premiers mails de la matinée, en réponse à la présentation de dossiers de financement envoyés la veille aux partenaires bancaires, augurent une nouvelle journée chargée. « Bonjour. Nous t’informons que nous ne pouvons prendre en charge l’étude de ton dossier. Le taux proposé par notre nouveau logiciel ne nous permet pas de respecter le taux d’usure préconisé par la réglementation. Malheureusement, je classe ton dossier. Bien cordialement. »
Ce type de retour de la part des banques avec lesquelles collabore le groupe Courteam depuis de nombreuses années est malheureusement devenu monnaie courante depuis quelques semaines. Pour ses experts, il faut redoubler d’énergie pour tenter de satisfaire les clients candidats à l’emprunt. « Dans le cas présent, nous sommes face à un dossier qui serait encore passé auprès de n’importe quelle banque en avril ou en mai », assure Vincent Colette, dirigeant-fondateur du groupe Courteam, qui a insufflé le mot d’ordre à ses équipes : ne surtout pas baisser les bras face à la multiplication des réponses négatives.
« Nous nous sommes toujours battus pour que nos clients, quel que soit leur profil, puissent concrétiser leur projet à partir du moment où ils font appel à nos services et à notre savoir-faire. Depuis juin, il nous faut donc nous battre quatre à cinq fois plus qu’avant. Quand on avait besoin de présenter un dossier un peu difficile à deux banques pour qu’il passe, aujourd’hui il nous faut présenter de bons dossiers à cinq, voire six banques pour arriver à une solution positive. C’est énormément de travail en plus sur chacun de nos dossiers, mais nous y parvenons dans la majorité des cas. »
La force des liens tissés dans le temps avec les partenaires bancaires aide à trouver les solutions. « Certaines vont accepter que l’on passe l’assurance emprunteur en délégation afin d’obtenir un taux bien meilleur marché afin de descendre le dossier sous le taux d’usure ; d’autres revoient un peu à la baisse le taux de crédit, ou renoncent aux frais de dossier. Tout cela est question de relation : cela dépend souvent de la force des liens tissés avec les conseillers. Nous avons la chance que beaucoup essaient de trouver une solution pour éviter l’échec de projets essentiels pour nos clients »
Le dossier refusé ce mardi matin illustre parfaitement l’incongruité de la situation du marché du crédit, bloqué par l’instauration par la Banque de France de taux d’usure bien trop bas, en total décalage avec la réalité de la hausse des taux de crédit. Pour ce cadre salarié d’une entreprise internationale basée à Caen, la désillusion est grande. Habitant de l’agglomération caennaise, il souhaite investir dans un appartement. Un investissement défiscalisant en loi Pinel qui lui assurerait un loyer de 655 €.
Sans crédit, disposant d’un apport de 10 000 € et d’un salaire annuel de près de 50 000 €, il a besoin d’emprunter 240 000 € sur 20 ans. Si le prêt passe, son investissement l’obligera à un effort financier de 150 € par mois après utilisation de l’économie d’impôt. Autant dire pas grand-chose. Mais avec un taux de crédit qui dépasse les 2 % avant de prendre en compte l’assurance emprunteur, les frais de dossier et les frais de garantie, son projet se retrouve sur la sellette.
« Cela montre à quel point cette problématique est en train de congestionner l’intégralité du marché de l’immobilier. Pour les candidats au crédit de plus de 40 ans, très peu de dossiers passent : plus un emprunteur est âgé, plus le taux d’assurance est élevé. Et en-dessous de 40 ans, c’est également compliqué mais pour d’autres raisons : les plus jeunes manquent souvent d’apport ou présentent des rémunérations moins élevées. On fait alors face à la problématique du taux d’endettement, lequel ne doit pas dépasser les 35 % », décrypte Vincent Colette.
Qu’il s’agisse de l’acquisition de l’habitation principale ou d’un investissement immobilier, la sclérose qui touche le marché du prêt immobilier dans la région de Caen comme partout ailleurs en France à des répercussions dont on commence déjà à observer les premiers signes : ralentissement des mises en construction de maisons neuves, baisse du nombre de transactions dans l’ancien, ralentissement de l’activité des artisans dans la construction mais aussi la rénovation.
Dans leur lettre de conjoncture publiée ce mois de juillet, les Notaires de France confirment que ce freinage de l’accès au crédit lié aux taux d’usure « risque d’entraîner un blocage du marché immobilier dans les prochains mois ». Pour l’éviter, la question du maintien du coût de l’assurance emprunteur dans le calcul du taux d’usure se pose, assurent-ils.
Un argument que font également valoir les professionnels du financement. D’autant que l’assurance-emprunteur est totalement déconnectée de la fluctuation des taux, puisque fixée en fonction du risque que représente chaque emprunteur selon son âge, son état de santé, sa profession. Avec ce mode de calcul du taux d’usure, les profils les plus défavorisés sont de facto exclus de l’accès au crédit.
« Il faut refondre la méthode de calcul », fait ainsi valoir Jérôme Cusanno, président de l’Association française des intermédiaires en bancassurance (AFIB), pour qui 45 % des dossiers présentés cet été ont été refusés pour dépassement du taux d’usure. Un dispositif dont le calcul est revu chaque trimestre ; la prochaine échéance est fixée au 1er octobre.
D’ici là, la Banque centrale européenne (BCE) a déjà annoncé qu’elle relèverait les taux de crédit en Europe en septembre. Les banques, qui empruntent à des taux plus élevés depuis début juillet et un premier relèvement des taux par la BCE, emprunteront donc encore plus cher. Sans capacité de répercuter ces coûts puisque le taux d’usure les en empêche.
Autant dire que la source va très vite se tarir, alors que de nombreuses enseignes bancaires ont déjà signifié depuis juillet qu’elles ne souhaitaient plus accorder de prêts immobiliers. « Si la Banque de France ne prend pas ce problème à bras le corps en augmentant les taux d’usure de façon très significative en octobre, nous nous orienterons vers une crise majeure de l’accès à la propriété », craint le dirigeant-fondateur de Courteam.
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